Reportage : Le Tribunal de Paris, une métropole touristique
Le Tribunal de Paris, lieu emblématique de la justice française, abrite une véritable métropole. Entre café avec terrasse, passages incessants ou encore affluence grandissante, ce lieu représentatif de l’intégrité est devenu le miroir d’une ville touristique.
D‘extérieur, ce sont trois très grandes parcelles qui se superposent. À l’intérieur, c’est une véritable ville qui se met en marche. Pour y accéder, nul besoin de chercher les parkings de proximité en se demandant par quelle rue commencer la visite. Il suffit de pousser la porte d’entrée et un contrôle de sécurité est effectué. Sac à dos, vêtement, poches des pantalons, tout est passé au peigne fin. Action pour le peu surprenante, puisqu’une fois à l’intérieur, les aspects d’aéroport sont bien loin laissant place à une ville.

Tandis que certains s’arrêtent au panneau d’affichage pour trouver leur itinéraire. D’autres s’installent prendre un café, profitant de la matinée. Assis sur un banc ou bien flânant dans les allées, chaque individu vaque à ses occupations. Parmi eux, se trouvent les nouveaux arrivants, au style décontracté, semblables à d’authentiques touristes. Mais aussi les habitués, en costard et robes sophistiqués. Ou encore les locaux, en robes d’avocat et dossier à la main. Assis sur un banc, Mattis, jeune homme âgé de 20 ans, attend l’audience du procès de M. Sarkozy. Nouvel arrivant dans cette ville, c’est sa grand-mère qui l’a poussé à s’y rendre. “Au début, j’avais l’impression d’être un intrus, mais en fait personne ne te calcule.” Sentiment au départ, quelque peu désagréable, mais Mattis a réussi à se fondre dans la masse, ne faisant qu’un avec les coutumes du tribunal.
Alors que certains s’accommodent tout juste au fonctionnement de cette métropole, pour d’autres, c’est une habitude bien ancrée. Parmi la foule, ces habitués se frayent un chemin, sachant parfaitement où ils vont. Discrets, ils entrent puis sortent des audiences, s’arrêtent au panneau d’affichage, discutent, puis reprennent leur route. Le tout ne passant pas inaperçu auprès des locaux matinaux. “Il y a des habitués bien sûr, certains vous diront que c’est moins cher qu’un ciné et que c’est mieux qu’un polar. Ils vous suivent et finissent par véritablement vous connaître », explique Jean-Pierre Loctain, avocat. “Il y a toujours eu de la vie ici. Ce que recherchent les gens en venant, c’est le rapport humain, un lien entre une personne et une autre ” souligne Paul, jeune avocat.
La matinée s’écoule, jonglant entre habitués, ou simples visiteurs. Les escalators sont occupés, observateurs de ce qu’ils se passent en dessous et près à pousser toutes les portes. Les professions se mélangent, les discussions se mêlent les unes aux autres. C’est un véritable lieu touristique qui se met en marche.
Une couverture médiatique
Le début d’après-midi arrive et l’affluence commence à se faire ressentir dans les ruelles du tribunal. À l’extérieur, une queue se forme pour entrer dans la ville. À l’intérieur, ce sont des gens qui attendent, agglutinés auprès d’une porte d’une salle d’audience. La raison, la délibération du procès opposant Cyril Hanouna et Louis Boyard datant de 2022.
Face à une queue de plus en plus longue devant la salle, les discussions quotidiennes s’entremêlent avec celles concernant le procès. Tous s’impatientant pour entrer. Tandis que certains s’arrêtent pour observer la scène, un policier chargé de la sécurité s’exclame “Ce n’est qu’une délibération ! ” tentant de dissuader quelques-uns à pénétrer dans la salle. Tel un lieu incontournable relayé par les réseaux sociaux, l’entrée de cette petite porte se transforme en une véritable place touristique. Beaucoup souhaitent voir, non pas d’imposantes statues ou fontaines, mais uniquement les deux stars de ce procès: Boyard et Hanouna . “Les réseaux sociaux et les médias en général influencent les gens (..) généralement s’il y a plus de monde au tribunal, c’est qu’ils ont relayé l’information ou qu’il y a une personnalité publique” explique Jean Pierre Loctain, habitué des lieux.
Alors que plusieurs personnes ne peuvent rentrer dû au monde, d’autres se frayent un chemin et découvrent une salle toute petite et étroite. Serrés sur les bancs, tous ont le regard fixé sur les juges, s’agitant dans l’attente du verdict. C’est seulement quelques secondes après l’ouverture de l’audience que l’affaire est déjà clôturée. La salle se vide. Les entrées et sorties se multiplient, l’audience suit son cours. Elle enchaîne avec rapidité sur d’autres dossiers, complètement différents des uns des autres. Malgré une partie des visiteurs déçue, quelques minutes seulement ont suffit à faire taire les mécontentements. Chacun reprenant son chemin, son plan à la main, se demandant quels lieux vont-ils visiter ensuite.
Derrière un amas de touristes et une médiatisation importante, cette audience reste très éphémère cachant un véritable dysfonctionnement. Entre dossiers qui s’accumulent et des litiges qui augmentent, tout est parfaitement dissimulé pour ne rien laisser paraître aux yeux des visiteurs.
Une ville saturée
Le milieu d’après-midi approche, les audiences s’enchaînent. Un dossier et puis un autre. Entre des avocats qui sortent dans la précipitation, et des curieux qui rentrent dans les salles sereinement. C’est une véritable cohue qui oppose les locaux aux touristes. Ce flux constant révèle une ville complètement désarmée face à la quantité de dossiers à traiter.“Ici, c’est un peu l’hôpital public, les gens viennent s’y réfugier” souligne Paul, avocat. Se confrontant à un nombre croissant de litiges, la justice se retrouve avec de moins en moins de moyens. La métropole prend l’allure d’urgence hospitalière, débordée d’audiences et de procès s’étalant sur des temps toujours plus longs.
Ce désarmement reste toutefois bien caché derrière de grandes ruelles lumineuses. Escalators, cafétéria, plans de la ville, tout est fait pour faire oublier aux visiteurs cette masse de procès que les professionnels doivent traiter. Cette vision lisse du tribunal provoque désarroi et mécontentement chez les avocats. “Vous trouvez ça humain vous, ça ? Moi, je trouve que ça fait très capitaliste” “Tout est informatisé, les avocats sont de moins en moins présents, les accusés ne sont jamais là. C’est juste une circulation de personnes comme s’ils faisaient les magasins” dénonce Jean Pierre Loctain, avocat.
Le tribunal de Paris, cette véritable ville saturée par les demandes, reste un lieu d’attraction majeur pour les visiteurs. Tandis que c’est une métropole qui se met en marche chaque matin, elle est le reflet d’un système désarmé qui se cache derrière des flux touristiques et une médiatisation aux effets très limités.
Elise BONTEMPS
Février 2025